Sciences - Des mythes alimentaires déboulonnés
Des études scientifiques remettent en cause certaines convictions que nous avons au sujet des aliments. Ainsi, nous n’absorbons pas tout le mercure que contient le poisson que nous mangeons. Aussi, il est préférable de faire bouillir plutôt que de rôtir les légumineuses, comme l’arachide, pour prévenir les allergies.
Les guides de consommation de poissons qui recommandent d’espacer et de limiter notre ingestion de poisson en raison du mercure qu’il contient doivent être révisés, croient des chercheurs de l’Université de Montréal dont les études indiquent que la cuisson du poisson diminue considérablement le mercure susceptible d’être absorbé par notre organisme.
« Les modèles sur lesquels se fondent les guides de consommation prédisent que l’humain absorbe près de 100 % du méthyl-mercure présent dans les poissons qu’il mange. Or, ces modèles datent des années 1960 ! » fait remarquer d’entrée de jeu le professeur Marc Amyot, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie et changements mondiaux.
M. Amyot et son étudiante, Catherine Girard, ont voulu voir si la préparation du poisson, sa cuisson et les aliments qui l’accompagnent lors de sa consommation modifiaient la proportion de mercure susceptible d’être absorbée par l’organisme. Pour ce faire, les deux chercheurs du Département des sciences biologiques de l’Université de Montréal ont simulé in vitro la digestion humaine de poisson cru, de poisson ayant été congelé, bouilli, frit, grillé, ou accompagné de thé, de café ou de petits fruits.
Digestion
Pour reproduire la phase gastrique de la digestion, ils ont mis en présence de la chair de poisson des enzymes gastriques, telles que la pepsine, ainsi que de l’acide lactique, de l’acide malique et de l’acide acétique. Ils ont ensuite poursuivi le processus digestif par une phase intestinale en ajoutant des fluides intestinaux contenant notamment des sels biliaires et de la créatine. Au cours de chacune de ces phases, ils ont mimé le péristaltisme en agitant les préparations. « Nous n’avons pas simulé l’action de la salive parce que nous sommes persuadés qu’elle a peu d’importance. Et nous avons omis la phase microbiologique [celle de l’action de la flore intestinale] en raison de la grande complexité de pouvoir conserver stable in vitro une communauté bactérienne », précise M. Amyot.
La congélation, qui est très courante dans la commercialisation du poisson, n’a pas semblé avoir d’impact sur la bioaccessibilité, qui est la mesure du méthyl-mercure rendu soluble et qui est ainsi disponible pour être absorbé par l’organisme. « Nos expériences ne nous permettent pas d’affirmer que le méthyl-mercure est absorbé dans le sang de l’organisme, car notre expérience se déroule in vitro. Il nous faudra mener des expériences in vivo pour le confirmer. Nous en sommes à établir des partenariats pour effectuer de telles expériences sur des cochons », affirme le chercheur.
Les chercheurs ont par contre noté une grande différence entre le poisson cru et le poisson cuit. La cuisson du poisson pouvait abaisser la bioaccessibilité du méthyl-mercure de 80 %. Le mode de cuisson utilisé n’avait pas beaucoup d’impact. « Que le poisson soit grillé, frit ou bouilli ne changeait pas significativement la bioaccessibilité. Nous croyons que l’effet est surtout dû au chauffage », souligne le chercheur, avant de préciser que les poissons ont été chauffés à 100 degrés Celsius, soit une température supérieure à celle jugée sécuritaire. Et aucune différence notable n’a été enregistrée entre la situation où le poisson était chauffé à 150 °C et celle où il avait été cuit à 100 °C.
Co-aliments
Les boissons riches en phyto-éléments reconnus pour leurs propriétés antioxydantes, comme le thé et le café, ont également eu pour effet de diminuer fortement la bioaccessibilité du méthyl-mercure présent dans le poisson. Le thé vert, particulièrement, réduisait la bioaccessibilité du méthyl-mercure de 77 %, tandis que le thé noir la faisait chuter de 71 %.
Comme les communautés amérindiennes nordiques consomment beaucoup de petits fruits, les chercheurs ont voulu vérifier leur effet sur la bioaccessibilité du mercure. Or les bleuets, qui sont pourtant riches en phyto-éléments, n’ont pas eu l’impact significatif auquel ils s’attendaient.
« Notre approche in vitro montre que, quand le poisson est cuit et consommé avec du thé vert, du thé noir ou du café, la quantité de méthyl-mercure pouvant être absorbée par l’organisme est vraiment minime. Ces résultats, qui devront toutefois être validés sur des organismes vivants, suggèrent que nous pouvons consommer beaucoup plus de poisson si l’on inclut ces deux manières de le manger, car il présente ainsi nettement moins de risques que prévu. Nos conclusions indiquent qu’on n’a pas à restreindre notre consommation de poisson », affirme M. Amyot.
Sushis ou fish and chips
« Les sushis sont très bons pour la santé, le message n’est pas que nous recommandons plutôt les fish and chips. La majorité des gens ne mangent pas suffisamment de poisson. Nous proposons simplement des façons de diminuer l’exposition au mercure en bénéficiant au maximum des bienfaits des poissons », déclare le chercheur, tout en soulignant toutefois qu’« il n’est pas idéal de consommer des sushis dans des restaurants de luxe qui servent des poissons tels que du thon rouge, de l’espadon et du requin, car il s’agit de grands prédateurs situés au sommet de la chaîne alimentaire et qui, par conséquent, sont plus contaminés en mercure que les autres espèces de poisson. À part ces grands prédateurs, tous les autres poissons peuvent être consommés sans restriction. Les grands prédateurs présents dans nos lacs, comme le brochet et le doré, ne posent pas de problèmes, quant à eux, car ils ne sont pas mangés en sushis. De plus, il est possible de réduire encore plus les risques d’exposition en les cuisant ! »
Pauline Gravel
Le Devoir
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